Menu

Angela Dornian

Ma vie avec Maman

Angela Dornian

Les années de la guerre n’ont pas été faciles pour Maman. La maladie et le décès de mon père quelques mois avant ma naissance l’avaient forcée à se trouver du travail.  Nous habitions un petit appartement à Edmonton dans un quartier défavorisé dont la réputation perdure jusqu’à ce jour.

Toutefois, nous n’étions pas les seules et grâce au leadership de Maman, nous avons pu collaborer avec toutes les familles de notre immeuble et profiter des bénéfices du partage.

L'histoire complète Read more

L'histoire complète Read less

La vie avec Maman

Je m’appelle Angela Alberta Dornian, née Cox. Je suis venue au monde le 4 janvier 1938 à Edmonton. Mon père est décédé de la leucémie deux mois avant ma naissance. Maman avait vécu une grossesse très difficile, et on ne s’attendait pas à ce qu’elle survive.

La Grande dépression tirait à sa fin, et à cause de la maladie de mon père, Maman était très malade elle aussi et appauvrie financièrement. Heureusement, les religieuses anglicanes, Sisters of Saint John, nous ont accueillies dans leur monastère pour l’aider à se remettre de sa dure épreuve.

Maman s’est rétablie tranquillement et a pu trouver du travail comme gouvernante chez un médecin et son épouse. Cette famille nous aimait beaucoup et voulait m’adopter, mais Maman tenait beaucoup à retrouver son autonomie.

L’emploi chez GWG

J’ai eu beaucoup de chance parce que Maman et moi étions inséparables. Où elle allait, je m’y trouvais aussi. Elle était très engagée dans la politique, et a milité pour la mise en place du syndicat des travailleurs chez Great Western Garment. Alors j’ai grandi, entourée de conversations d’adultes et je vous assure que j’en ai appris des choses!

Ainsi, au début de la guerre, Maman est allée travailler pour le grand fabricant de vêtements de travail agricole et de jeans GWG. Les hommes s’engageaient dans les forces armées, et les emplois devenaient disponibles aux femmes. Maman travaillait 6 jours par semaine, 8 heures par jour au début de sa carrière, mais grâce au nouveau mouvement syndical et les revendications pour de meilleures conditions de travail, elle et ses collègues ont réussi à obtenir une semaine de travail de 5 jours et demi, à 8 heures par jour, pour un salaire de 40 $ par semaine. C’était à une époque où le salaire d’un journalier était de 1 $ par jour, donc, c’était très bien payé. Je me souviens de l’avoir observée, moi assise sur le bord d’un trottoir, elle sur le piquet de grève.

Les crèches

Le gouvernement avait ouvert des services de garde en milieu de travail à cette époque pour que les femmes puissent combler les emplois ouverts par le départ des hommes pour le front. Ces centres s’appelaient des « crèches ». Maman m’a envoyée à la crèche chez GWG, alors j’étais toujours près d’elle jusqu’à ce que je sois prête pour l’école.

Après la guerre, les prestations de garde d’enfants ont été coupées et la crèche a fermé ses portes. C’était une manœuvre du gouvernement pour forcer les femmes à retourner au foyer et laisser leurs places aux hommes. Quant à Maman, elle a retenu son emploi jusqu’à ce qu’une chute durant sa grossesse pour mon frère attire l’attention de la direction et la force à rendre sa démission.

La mort d’un ami

Parfois, Maman rentrait les larmes aux yeux, attristée par la nouvelle de la mort d’un ami qui s’était enrôlé comme artilleur aérien. Un avion pouvait subir des dommages et s’en sortir même lors d’une attaque où les points les plus vulnérables étaient touchés. Cependant, les tourelles à canons s’y trouvaient et faisaient plusieurs victimes. J’entendais des bribes de nouvelles quand elle parlait à d’autres adultes, mais Maman faisait très attention à ce qu’elle me disait.

La revue LIFE

La source principale d’information pour moi était la revue LIFE. J’adorais les belles photos parce que je ne savais pas encore lire. Je me souviens d’une photo en particulier qui m’avait vraiment touchée. C’était celle d’un soldat canadien qui donnait sa ration de chocolat à un petit garçon, tout en continuant sa route avec son unité. Où étaient ses parents? Maman m’a assurée qu’on en prendrait soin.  Dans les faits, la famine rageait à ce moment-là et touchait beaucoup d’enfants. Ce petit garçon était fort probablement orphelin.

La vie de quartier

Nous vivions 97e Rue à Edmonton durant la guerre. Cette rue et ce quartier a toujours eu mauvaise réputation, mais je n’en étais pas consciente. Nous habitions un immeuble qui appartenait à de la parenté. Nos voisines étaient des femmes qui vivaient seules avec leurs enfants parce que le loyer était abordable.

Les vêtements et la nourriture

Quant aux vêtements et à la nourriture, tout le monde avait un potager et des poules; les gens avaient des coupons de rationnement pour le sucre et le beurre. Les aliments plus exotiques étaient plutôt rares. Tout allait vers l’effort de guerre. On recyclait tout.

Les vêtements étaient échangés ou transmis du plus grand aux plus petits jusqu’à ce que le tissu soit usé à la corde. On s’en servait alors comme torchon ou autres. Par exemple, des draps fendus étaient transformés en chemise pour enfant ou en taies d’oreillers, ou encore en tapis tressés.

Dans notre immeuble, tout le monde cuisinait et partageait, ce qui fait que nous étions mieux nourris que si nous avions eu à survivre de nous-mêmes. Ce fut une période heureuse malgré les sacrifices.

Nous mangions des restants, et tout ce qui n’était pas consommé allait à nourrir les animaux. Pas de gaspillage.

Les bas de nylon n’existaient pas ou s’il y en avait, ils se vendaient très cher. Le nylon servait à faire de la toile de parachute.

Les médicaments

La recherche médicale et pharmaceutique a fait de grands pas au cours de la guerre. L’accès aux antibiotiques et autres médicaments est devenu plus facile et a sauvé plusieurs vies. Des maladies comme la polio et la fièvre scarlatine rageaient particulièrement durant l’été. Maman m’envoyait chez une tante en campagne pour m’épargner des épidémies fréquentes.

Sagesse et débrouillardise

Maman accueillait des pensionnaires chez nous, surtout de jeunes femmes. Elle travaillait toujours à améliorer sa propre condition de vie et faisait preuve d’une grande sagesse. Elle avait aussi le souci de bien informer ses jeunes pensionnaires et leur apprendre à se débrouiller, gérer leur argent, et surtout, à vivre en ville en sécurité.

Cela lui a permis de gagner suffisamment d’argent pour acheter un réfrigérateur! C’était toute une acquisition quand la plupart des maisonnées avaient toujours des glacières!

Maman rencontre Bernie

C’est une des pensionnaires qui a présenté Bernie Mulloy, l’homme qui allait devenir mon beau-père, à ma mère. Il venait de Niagara Falls. Il avait été opérateur radio et expert en code Morse durant la guerre avec l’Aviation royale canadienne. Stationné à Gander, Terre-Neuve, il communiquait la présence de sous-marins ennemis aux convois de la marine marchande et aux navires de guerre alliés.

Le jeu

Bernie aimait miser sur les chevaux. Il pouvait facilement perdre 400 $ un jour pour le regagner le lendemain! Le jeu étant illégal au Canada, il traversait la frontière américaine pour aller jouer. Un jour, Maman m’a avoué qu’il avait perdu tant d’argent qu’il avait dû se réinscrire dans l’ARC, et que c’est ainsi qu’ils se sont connus. Peu de temps après, ils se sont mariés et la famille s’est agrandie!

Une maison

La SCHL a été créée à cette époque et Maman a décidé d’acheter une maison. Ils ont emprunté l’argent pour la mise de fonds, chose qui n’est plus possible de nos jours. Grâce à leurs deux salaires, ils ont pu se permettre le 12 000 $ pour la maison!

Maman travaillait toujours chez GWG quand elle est devenue enceinte de mon frère et suite à une chute, sa grossesse a attiré l’attention et elle a dû donner sa démission. La maison était grande et elle louait des chambres dans la maison, alors tout s’est quand même bien passé. À l’époque, les hommes célibataires vivaient soit chez leurs parents, ou comme pensionnaires. Ils louaient très rarement un appartement.

Les pensionnaires

Les pensionnaires rapportaient assez pour payer les factures. Nous avions des étudiantes infirmières, et des travailleurs de l’industrie pétrolière, un avocat et un comptable; un ancien commandant pilote et un navigateur.

Les conversations à la table ne manquaient pas de couleurs et d’intérêt pour une petite fille de 9 ans. Je demeurais assise en silence à écouter toutes ces histoires! Ça m’a réellement gâtée pour tout autre type de conversation!

Il y avait Ludwig, un Polonais qui avait combattu dans la Résistance de son pays. Il avait des histoires fascinantes de la guerre. Il parlait plusieurs langues. Il y avait aussi un Français qui avait survécu les camps de travaux forcés où on bâtissait des sous-marins. Il ne parlait que le français et l’allemand, alors Ludwig nous servait d’interprète.

Le Grand Nord et le Yukon

C’était l’après-guerre en Europe, et mon beau-père était toujours aux services de l’Aviation royale canadienne. Un jour, son commandement a voulu l’envoyer en mission en France. Nous allions vivre dans un manoir à Fontainebleau ou dans un petit appartement à Paris, une notion très romantique et grandiose, mais la réalité était toute autre : l’un aurait occasionné des frais de chauffage faramineux, si le fioul avait été même disponible à ce moment-là, et l’autre nous aurait entassés dans un appartement trop petit pour convenir à notre famille de 5 personnes. Alors, Maman a refusé de partir.

Quand Bernie a informé ses supérieurs qu’il n’irait pas en France, en guise de représailles, on l’a assigné à 6 mois de service sur la Défense de la ligne Dew (Dew Line Defence) à Alerte.

Maman a dû se débrouiller en son absence, mais grâce aux pensionnaires, l’entretien de la maison s’est fait sans trop de peine.

Quand Bernie est revenu de l’Arctique, ce n’était que pour nous annoncer que nous déménagions au Yukon! Bernie allait travailler comme opérateur radio au Centre de surveillance ultra-secrète où l’on surveillait les communications russes dans les débuts de la Guerre froide afin de maintenir la sécurité de nos frontières. Il est resté le temps de faire des boîtes.

Nous sommes allés le retrouver à la base aérienne dans Hillcrest. Ce n’était guère mieux qu’Alerte, disait-il. En effet, Whitehorse n’était que quelques rues de gravier et beaucoup de poussière d’argile. Mais nous y avons fait notre vie et personnellement, le Yukon est demeuré mon coin de pays.

Pour rapporter un peu plus d’argent et préparer sa retraite des forces militaires, Bernie a démarré une entreprise de location d’entrepôts réfrigérés pour que les gens puissent stocker suffisamment de nourriture pour pallier les périodes de l’année où nous étions totalement coupés du reste du pays.

Les choses sont bien différentes aujourd’hui!

Si nous réfléchissons un moment sur la question de la crise des réfugiés syriens, le Canada est réellement un pays de personnes dispersées venues se réfugier ici pour échapper à l’oppression. À part nos peuples autochtones, nous sommes tous issus d’ancêtres venus d’ailleurs. Rappelons-nous que nos ancêtres ont trouvé refuge au Canada!

radio

Documents à télécharger

Carte
  • William et Flora Bridges, grands-parents maternels

  • Papa, musher, Edmonton, c.1930

  • Papa et Maman, 1935

  • Papa et Maman, nouveaux mariés, 1935

  • Angela et son parrain, baptême, 1938

  • Angela, 3 ans, 1941

  • Maman, 1943

  • Congrès du Jubilée de diamant, Trades and Labor Congress of Canada, Hôtel Royal York, Toronto, octobre 1944

  • Maman, 1944

  • Collège d'Edmonton, Département des maternelles, orchestre rythmique, décerné la 1e place au concours pour Ensembles rythmiques, Festival de musique d'Edmonton, mai 1943

  • Bernie Mulloy, mon beau-père, ARC, 1947

  • LRAN et Angela, 1948

  • Angela et son chat, 1949

  • Maman fait du pain, Hillcrest, Whitehorse, 1953

  • Angela, Whitehorse, 2016

  • Angela, Whitehorse, 2016

Les porteurs d'histoire