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Yann Herry

Une saga familiale

Yann Herry

Quand j’allais passer mes étés chez ma grand-mère Deligny en Vendée, j’entrais dans un autre monde; l’histoire à la fois palpitante et terrifiante de mes grands-parents.

C’est alors que l’Histoire a pris une toute autre importance pour moi.

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Le monde fabuleux des contes vrais

Je me nomme Yann Herry et je suis né à Casablanca au Maroc en 1955. Je suis Pied-Noir.

Mes parents venaient de France, ma mère du Nord de la France et mon père de la Bretagne, de l’Ouest de la France. J’ai grandi avec toutes ces histoires qu’ils ont vécues durant la guerre.

J’ai toujours eu un intérêt pour l’Histoire et grâce à cet intérêt, j’ai souvent profité des occasions d’entendre les histoires de ma grand-mère, qui est décédée à 104 ans. C’était un monde fabuleux que je visitais quand j’allais chez ma grand-mère en Vendée. Quant à mon grand-père, il ne parlait pas de son épreuve. Il avait survécu aux pires horreurs et n’en a jamais parlé.

Quand j’étais enfant, j’aimais entendre parler de la vie quotidienne des gens pendant la guerre. Ma grand-mère a vécu les deux guerres mondiales, donc, c’était toute une tranche de l’histoire qu’elle m’a contée.

La famille de ma mère

La famille de ma mère venait du Nord de la France, de la région des champs de bataille, donc ils ont été beaucoup plus affectés par les événements, tandis que la famille de mon père venait de la Bretagne, de l’Ouest de la France. Ils ont vécu l’Occupation, mais loin des champs de bataille.

Une fois brûlé…

La première partie de la guerre a été l’invasion de la France par l’Allemagne, qui s’est faite par le Nord. Çà été une surprise parce que tout le monde s’attendait à ce qu’ils passent par la ligne Maginot, ou les Vosges, dans l’Est. Les gens du Nord de la France avaient vécu les événements de la Première guerre mondiale et se souvenaient des exactions, des fusillades et des choses qui s’étaient passées dans les Ardennes et la peur s’est emparée de la population.

Un retour sans heurt

Quand les Allemands sont entrés, le gouvernement français a annoncé l’évacuation, mais les gens avaient déjà pris la route avec leurs chariots, leurs tracteurs et leurs animaux- parce qu’on ne pouvait pas laisser les animaux seuls – et ils sont tout de suite partis vers le Sud de la France. La France a capitulé en 1940 et les gens ont pu rentrer chez eux sans problème.

Les Allemands avaient convenu de laisser les gens retourner à leurs fermes, contrairement à ce qu’ils avaient fait lors de la Première Guerre mondiale. Plutôt que de s’aliéner les gens, ils ont décidé de s’allier aux populations locales, surtout que c’était une région agricole et qu’ils avaient besoin de nourrir leurs troupes.

Internement militaire

Mon grand-père était officier dans l’armée française et a été fait prisonnier quand la France a capitulé en 1940. Il a été envoyé aux travaux forcés dans les fermes allemandes pour remplacer la main-d’œuvre qui était à présent au front.

L’expérience de mon grand-père sur les fermes allemandes n’a pas été plaisante, mais n’avait rien d’extraordinaire quand on la compare aux expériences de d’autres prisonniers.

J’ai eu le plaisir de rencontrer le père Guilbault lorsque je suis venu au Yukon. Dans son cas, il a vécu à peu près la même expérience que mon grand-père, sauf qu’il a été forcé à marcher du Nord de la France jusqu’en Prusse orientale près de la Russie. Une fois arrivé, il a été envoyé dans les mines, puis après, sur les fermes.

Les Allemands ont gardé leurs prisonniers pendant environ trois ans. Puis, ceux qui avaient des enfants et des fermes ont pu rentrer. C’est à son retour que mon grand-père a été contacté par les réseaux de la Résistance.

La valeur cachée d’une ferme

Le réseau de résistance du Nord faisait passer les pilotes Alliés descendus, les Juifs, et nombre d’autres gens recherchés, du Nord de la France à la Belgique, pour ensuite se rendre en Angleterre. Mon grand-père avait convenu de cacher ces gens dans sa bergerie qui se trouvait au fond des terres de sa ferme.

Ma grand-mère était préoccupée par l’engagement de mon grand-père dans la Résistance, surtout après avoir vécu trois ans sans lui. Elle considérait que c’était très risqué. Mais elle parlait l’anglais, donc, elle était bien placée pour communiquer avec les pilotes anglais et américains. La ferme permettait de cacher les gens et leur donnait la liberté de transporter les récoltes vers les marchés. Cela leur permettait de transporter bien plus que les récoltes.

Arrêtés

Ses préoccupations se sont avérées bien fondées. Les Allemands sont descendus sur le village un jour, et tout le réseau a été arrêté- le curé, la sœur du curé, mes parents et plusieurs autres du village ont été emprisonnés. Deux pilotes américains qui avaient été cachés dans la bergerie avant de passer vers la Belgique, avaient été arrêtés et sous la torture, avaient dénoncé le réseau. Mes grands-parents ont été transportés à la prison de St-Quentin où le triage des prisonniers se faisait pour les déporter dans les camps de concentration.

Ma grand-mère a passé 6 mois à Frene, puis libérée grâce à la ferme et ses quatre enfants.

La prison était un endroit très froid et humide qu’elle partageait avec d’autres prisonniers. Les premières nuits, on restait réveillés pour chasser les rats, mais après quelques nuits, on était succombait au sommeil et c’est à ce moment-là que les rats venaient manger les jambes. Ma grand-mère avait de grosses cicatrices évidentes.

Un lourd fardeau

Pendant l’arrestation de mes grands-parents, c’est ma mère qui a pris la charge d’administrer la ferme. Elle avait 11 ans. Elle s’est retrouvée en charge d’une trentaine de travailleurs. Elle disait avoir vieilli très vite avec toutes ses responsabilités. Elle a trouvé cela très lourd.

Quand ma grand-mère est revenue à la ferme, les soldats allemands étaient partout, mais ils tenaient à garder les bonnes relations, et donc, leur présence n’était pas oppressive. De plus, les officiers allemands avaient vraiment leurs soldats sous contrôle, alors les gens étaient traités avec respect.

Déportation

Le cours de la vie a continué sur la ferme pour ma mère et ma grand-mère qui restaient sans nouvelles de mon grand-père. Il avait été transporté et incarcéré dans deux camps de concentration, d’abord à Dora, un camp relié à Buchenwald, près des usines de V2 (bombes que les Allemands ont lancé sur Londres) dont le programme était organisé par Von Braun. Les prisonniers étaient soit assignés à agrandir le réseau des tunnels de Kohnstein ou aux équipes d’assemblage. Aucun des prisonniers assignés à la construction des tunnels n’a survécu. Ensuite, les Allemands ont transféré les survivants à Bergen-Belsen, qui était un des camps les plus durs du réseau. Mon grand-père a à peine survécu.

Von Braun était très apprécié de Hitler parce qu’il menait d’importantes recherches sur les missiles et supervisait les programmes scientifiques du Reich. Mon grand-père lui a toujours  reproché de n’avoir rien fait pour mieux protéger les prisonniers. Les Allemands les pendaient aux obus, une fois la construction terminée comme représailles pour quelque problème survenus au cours du processus. C’était difficile de déterminer si les ratés étaient dus au sabotage ou simplement à des erreurs de fabrication.

Défection de Von Braun

Après la guerre, quand il a tenté de dénoncer Von Braun dans un article proposé à Paris-Match, les éditeurs lui ont dit que l’information était trop délicate pour publier. Von Braun s’était rendu et travaillait à présent au développement du programme spatial des Américains.

Libération

Quand mon grand-père a été libéré des camps de concentration en 1945, il ne pesait plus que 35 kilos, et très malade. Un homme grand et costaud de nature, il n’avait plus de moelle dans les os, avait perdu ses capacités et ne pouvait plus prendre soin de lui-même. Selon les données, il y avait environ 60 000 détenus à Dora, et du nombre 1 sur 3 sont morts.

Quand les soldats britanniques ont libéré le camp, ils n’avaient jamais connus une telle situation où des gens avaient été privés de nourriture pendant des années. Plusieurs survivants sont morts dans les semaines qui ont suivi, d’avoir trop mangé d’un coup après avoir été affamés aussi longtemps.

Retour à la maison

Les trains partaient vers les différents pays d’Europe. Mon grand-père ne savait plus trop qui il était ni où il se trouvait. Les soldats ont réussi à l’identifier et l’ont expédié vers la Belgique. À cette époque, la radio annonçait les noms de toutes les personnes à bord des trains en provenance des camps. Quand mon grand-père est arrivé, c’est par pur hasard qu’une cousine a entendu son nom et a pu avertir ma grand-mère.

On l’a trouvé seul, assis sur un banc d’un parc près de la gare, perdu dans son monde. Après cinq ans dans les camps, il a eu du mal à s’habituer à la routine de la ferme. De plus, ses enfants avaient grandi et certains avaient même quitté la maison. Mes grands-parents ont eu du mal à s’adapter, surtout que ma grand-mère avait pris la charge de la ferme et de tout ce qui touchait la famille. C’est alors qu’ils ont décidé de partir vers le Maroc et un meilleur climat pour la santé de mon grand-père.

La famille de mon père

La famille de mon père venait de Bretagne et n’a pas vécu les mêmes épreuves. Mon grand-père paternel était médecin et voyageait constamment de village en village pour soigner les gens. Pour compliquer les choses, l’essence était rationnée, alors, mon grand-père devait se déplacer en vélo de longues distances pour voir ses patients. C’était très difficile d’arriver à voir tout le monde qui avait besoin de soins. De  plus, le couvre-feu imposé le forçait souvent à passer la nuit chez ses patients.

Ce qui lui a aussi causé beaucoup de soucis, c’est qu’il avait cinq garçons, dont il soupçonnait les plus vieux d’être impliqués dans la Résistance. Il préférait ne rien savoir sur leurs activités pour les protéger. Mais il se doutait que certains participaient à poser des bombes sur les chemins de fer. Ces sabotages aboutissaient toujours par l’exécution d’otages par les Allemands.

Il est mort peu de temps après la guerre, exténué et affaibli par le stress.

C’est vraiment lorsque je suis allé en Angleterre cet été que j’ai vraiment compris l’histoire de ma grand-mère sur les réseaux de la Résistance. J’ai visité un camp d’internement pour soldats italiens et allemands dans le Yorkshire. On l’avait transformé en musée commémoratif et j’ai pu vraiment comprendre ce que mes grands-parents avaient vécu et leur rôle dans le réseau qui partait du Nord de la France et qui passait par la Belgique pour se rendre en Angleterre.

Le service militaire

Mon père a joint l’Armée française très jeune à l’âge de 17 – 18 ans peu avant la fin de la guerre. Lorsqu’il a été démobilisé, il a choisi d’aller au Maroc rejoindre son frère qui était médecin dans le désert du Sahara, à Figuig.

C’était un sportif- il avait été champion de France du 100 mètres -  et on lui a offert un poste de superviseur à l’agence de la Jeunesse et des sports du Maroc, responsable d’un réseau de colonies de vacances dans les Atlas pour les enfants en difficulté. Quant à ma mère, elle cherchait à augmenter ses revenus d’une petite ferme et a pris l’emploi de téléphoniste du réseau des camps de vacances. C’est ainsi que mes parents se sont rencontrés.

Au Maroc, mes parents ont réussi à faire une belle vie ensemble, mais c’était au moment des mouvements d’indépendance du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie. Le Maroc avait invité tous ses employés publics français à demeurer afin d’assurer une relève sans heurt, mais mes parents ont préféré retourner en France dès les troubles en Algérie.

Mes parents se sont installés d’abord en Provence et ensuite en Bretagne. Puis, la famille est venue s’installée au Canada en 1966.

Le Canada

J’étais très intéressé à la géographie nordique, mais j’avais également compris que je devrais mieux connaître le Nord. Alors, durant l’été de 1975, j’ai fait une tournée du Canada de Terre-Neuve jusqu’à l’Alaska pour découvrir l’Arctique et je suis arrivé au Yukon pour la première fois.

L’été suivant, je suis parti à la découverte de la vallée du MacKenzie. J’y ai rencontré des gens qui habitaient au Nunavut et qui m’ont invité à aller les visiter. En 1976, c’était l’époque des grèves d’universités au Québec, donc je suis allé les voir à la Baie de Frobisher (Iqaluit). Ils m’ont invité à rester plus longtemps et m’ont aidé à trouver un travail et un logement avec une famille Inuit.

J’ai appris l’Inuktitut et j’ai rencontré beaucoup de gens sur les terres et c’est là que j’ai développé mon amour pour l’Arctique. De fil en aiguille, je me suis installé au Yukon. Je travaillais dans les mines à Elsa quand elles ont fermé en 1981. La qualité de mon français n’était pas passée inaperçue et j’ai pu enseigner les cours de français aux adultes.

J’ai appris que je pourrais enseigner dans les écoles, mais que ça me prenait un diplôme en éducation. Alors, j’ai quitté le Yukon à contrecœur pour aller chercher mon diplôme. On m’avait suggéré d’aller le faire en Colombie-Britannique, mais j’ai décidé de retourner à l’origine de mon amour pour l’Arctique et je suis retourné à Terre-Neuve à l’université Memorial.

C’est en traversant de Sydney à Port-aux-Basques, puis en voiture jusqu’à Cornerbrook que j’ai compris que c’était les paysages sans arbres qui m’avaient attiré aux régions nordiques.

Je suis enfin revenu au Yukon avec mon diplôme et j’ai rencontré mon épouse, Hélène, en 1985, à l’école élémentaire de Whitehorse. Nous étions tous deux moniteur et monitrice de français. Nous nous sommes mariés et élevés une famille. Le Yukon, c’est chez nous!

 

NDLR: M. Herry est un de nos grands promoteurs de la communauté franco-yukonnaise.  Il travaille sans relâche à l’avancement du français au territoire, et contribue à son patrimoine par son travail de recherche et ses publications.

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Carte
  • Laissez-passer militaire de Paul Deligny, avant la capitulation de 1940.

  • Lettre de Simone Deligny à Paul Deligny, fait prisonnier militaire en 1940. Fermier de métier, il a été déporté vers une ferme en Allemagne où il a été assigné aux travaux agricoles pendant trois ans.

  • Lettre de Simone Deligny à Paul Deligny, fait prisonnier militaire en 1940. Fermier de métier, il a été déporté vers une ferme en Allemagne où il a été assigné aux travaux agricoles pendant trois ans.

  • Lettre de Simone Deligny à Paul Deligny, fait prisonnier militaire en 1940. Fermier de métier, il a été déporté vers une ferme en Allemagne où il a été assigné aux travaux agricoles pendant trois ans.

  • Lettre de Simone Deligny à Paul Deligny, fait prisonnier militaire en 1940. Fermier de métier, il a été déporté vers une ferme en Allemagne où il a été assigné aux travaux agricoles pendant trois ans.

  • Photo prise par un soldat canadien à l'arrivée des troupes canadiennes et britanniques au camp de Bergen-Belsen. Les Alliés ont eu tout un choc à la vue des conditions du camp.

  • Médaillon d’identité et uniforme de Paul Deligny, déporté de la Résistance française, grand-père de Yann Herry. Les grands-parents de Yann faisaient partie de la Résistance française, dont le réseau avait été repéré et démantelé. Paul Deligny a passé trois ans dans deux camps de concentration, tandis que Louise, son épouse a passé six mois en prison, puis libérée pour qu'elle puisse retourner à ses enfants et à la ferme.

  • Paul Deligny, de retour à la maison après la Libération. Il ne pesait que 35 kilos.

  • Paul Deligny fut libéré de Bergen-Belsen en Basse-Saxe près de Hanovre en Allemagne par les troupes canadiennes et britanniques, le 15 avril 1945.

  • Une fois le camp libéré, les soldats ont poursuivi les Allemands en fuite. Ils ne se doutaient pas que d'autres survivants mourraient, ne sachant pas doser la quantité de nourriture à ingérer après avoir souffert de famine des années durant. Des 67 000 survivants, 23 000 sont morts suite à la Libération.

  • La Libération de Bergen-Belsen - Camp de concentration, Avril 1945

  • Carte d'identité de Paul Deligny, déporté français.

  • Cénotaphe à la mémoire des victimes de Bergen-Belsen

  • Portrait de Paul Deligny, par Fremans, déporté dans les camps de travaux agricoles, 1941.

  • 70e anniversaire de Dieppe, cérémonie commémorative.

  • "Le cœur des Dieppois est canadien", 70e anniversaire Dieppe, cérémonie commémorative, 19 août 2012.

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