Au cours des cinq premières années de ma vie, j’ai grandi dans un orphelinat à Heppel. Je me souviens de la faim constante et de la terreur que m’inspirait le bruit des bottes cloutées des soldats allemands. Mais quelqu’un est venu à notre secours et nous a sauvés de ces horreurs!
Un soldat canadien-français, mon héros…
Je m’appelle John Nystad, né Geert Jacobus Nijstad, le 24 août 1941 à Zwolle, Overijssel, en Hollande.
Je viens de Zwolle, une ville épargnée de la destruction grâce à Léo Major, un soldat canadien. Je n’ai jamais rencontré de soldats canadiens durant mon enfance, mais nous avons tout appris à son sujet. Le Caporal Léo Major avait réussi à duper les Allemands à croire qu’un bataillon canadien-français approchait les limites de la ville. Il avait passé la nuit à détonner des grenades et à détruire leur équipement à travers la ville. Au petit matin, les Allemands avaient quitté les lieux sans faire leur ravage habituel.
J’ai été abandonné à la naissance et élevé dans un orphelinat à Heppel, dans la province de Drente. Papa était dans l’armée hollandaise et avait été fait prisonnier. C’est seulement à la fin de la guerre en 1946 qu’on m’a rendu à mon père et à sa nouvelle épouse, une Britannique très gentille.
Ce dont je me souviens de l’orphelinat est que nous ne mangions qu’un repas par jour. Nous étions neuf enfants hébergés dans une toute petite maison. Nous étions sous les soins de deux adultes. La nourriture était rare, et un repas consistait souvent de pelures de pommes de terre un jour et le suivant, de la pomme de terre, elle-même. Nous devions lécher notre assiette pour que rien ne soit perdu et on nous mettait au lit très tôt pour ne pas trop ressentir les sensations de la faim, sept tout-petits dans un lit. Nous étions toujours affamés, mais il n’y avait pas de nourriture. Certains jours, nous ne mangions rien.
En 1945, j’ai quitté l’orphelinat pour aller vivre chez mes grands-parents, qui, à ma grande surprise, vivaient à quelques pas à peine d’où j’avais passé les premières années de ma vie. J’ai aussi appris que j’avais un frère aîné. Il avait deux ans de plus que moi. Je n’ai jamais compris pourquoi on m’avait placé dans un orphelinat alors que mon frère et mes grands-parents étaient tout près. On me disait souvent que ma tête de cheveux foncés et mes yeux marron juraient contre les blonds aux yeux bleus de tout le reste de ma parenté. C’était peut-être une raison.
Le jour où la guerre a terminé, un silence inhabituel a couvert la ville. Puis, presque simultanément, les gens sont sortis en criant et en riant. Les drapeaux hollandais sont apparus dans les fenêtres partout. Jusqu’alors, je voyais les soldats allemands faire leurs rondes tous les matins. Leurs bottes cloutées faisaient un vacarme sur le cailloutis des rues. Les bombardiers allemands survolaient nos maisons continuellement. Ce bruit me réveillait en sursaut.
La vie avec mon père n’a pas été facile. C’est une chance qu’il avait épousé ma belle-mère. Elle était très gentille. Il ne nous a jamais démontré d’affection, à mon frère ou à moi. Un jour, nous lui avons demandé de nous parler de notre mère, mais il s’est mis dans une telle colère que nous ne l’avons plus jamais approché à propos d’elle. Par contre, quand ma sœur est née en 1947, il n’a fait que la choyer, mais mon frère et moi ne pouvions jamais lui demander quoi que ce soit, au risque de nous faire injurier.
La guerre a eu beaucoup d’impact dommageable. La plupart des villes en Hollande ont été complètement détruites et beaucoup de Hollandais sont disparus aux mains des Allemands en retraite. Tout était à rebâtir- les digues, les routes, tout. Les impôts et les taxes étaient aussi très élevés.
Les forces policières hollandaises avaient été formées par les Allemands et pouvaient être très oppressives. Par exemple, c’était interdit de marcher sur la pelouse dans les parcs. Si vous endommagiez un arbre, vous pouviez vous retrouver derrière les barreaux.
Nous avons immigré au Canada en 1953, d’abord à la ville de Québec. Puis, nous avons pris le train vers Chatham, Ontario pour nous installer enfin à Wallaceburg, Ontario. Je ne suis pas certain des raisons de notre départ pour le Canada parce que nous craignions les furies de notre père, mais de toute sa vie, il a eu cette préoccupation maladive avec l’argent. Depuis ma très jeune adolescence, je devais travailler de longues heures à temps partiel, à des travaux parfois ardus. Mon frère travaillait aussi. Tous nos salaires revenaient entièrement à mon père. Grâce à nous deux, il a pu payer ses dettes et payer comptant tout le nécessaire à la maison.
Quand nous avons voyagé de Québec à Chatham, j’ai été complètement fasciné par les grands espaces et les arbres. Je suis tombé amoureux de mon nouveau pays. Je me sentais enfin libre.
La vie a été très difficile pendant nos premières années au Canada. Nous vivions en campagne et mon père avait du mal à trouver du travail. Nous nous couchions souvent sans avoir mangé ces premières années-là.
Mon frère et moi avions beaucoup de difficulté avec mon père qui souffrait du syndrome post-traumatique occasionné par son expérience dans un camp de concentration allemand. Il ne nous démontrait aucune affection et cela m’a longtemps affecté. Peu de rires et peu d’amour chez nous de sa part. J’ai longtemps eu du mal à regarder des émissions où les personnages démontraient de l’affection envers d’autres.
Les préjugés étaient très forts dans ce temps-là. À l’école en Hollande, on nous a appris à détester les Allemands et de ne jamais leur faire confiance. Plus tard, une fois au Canada, mes parents m’ont également dit que si j’avais l’intention de fréquenter une fille d’origine allemande, de ne jamais la leur présenter. Par contre, les Hollandais vénèrent particulièrement les Canadiens-Français, même encore aujourd’hui, pour leurs actes d’héroïsme et pour l’aide humanitaire qu’ils leur ont envoyés à un moment si difficile. Très jeune, j’ai fait le vœu que je deviendrais soldat canadien un jour, en reconnaissance de mon pays d’adoption.
En effet, j’ai servi dans les forces armées canadiennes, dont deux missions avec les Casques bleus (Forces des Nations-Unies – Canada) en Chypre, et une en Égypte. Pour moi, mes collègues des forces armées étaient ma famille. Certains trouvaient l’adaptation au régime de vie assez exigeant. Pour ma part, à comparer à ma vie antérieure, rien n’était plus facile!
J’ai été brièvement de passage en Europe durant une de ces missions et je suis retourné voir la famille. Je ne me suis pas senti à l’aise. J’ai quitté les forces armées en 1981 et déménagé au Yukon en 1985. J’aime mon pays. C’est mon chez-moi.
John Nystad vit à Porter Creek avec son épouse et ses deux chiens, Griz et Diego. Il est plombier et spécialiste des opérations mécaniques d’édifices, et responsable de l’entretien de la propriété du Camp des cadets à Mary Lake. Un des endroits qu’il aime le plus au monde est le lac Simpson près de Little Creek dans la région de Watson Lake.